Autour du domaine du Comte de Jonghe d’Ardoye

Uchronie de Christian Nekkebroeck - traduction Pierre-Yves Bouvy

Avec un grand remerciement à la Comtesse Brigitte de Jonghe d’Ardoye, Marina Blijkers, Ludo Stevens pour les photos et la documentation.


Si vous désirez avoir un avant-goût de cette promenade, suivez ce LIEN pour visualiser la video d'Eddy Vannerom .

Après beaucoup d’insistance, Alfons (Fons) Goossens, le « garde » du Comte de Jonghe d’Ardoye, a finalement concédé que je l’accompagne pour faire un tour du domaine du Comte. Nous nous étions donné rendez-vous à Hof-ten-Hout. J’étais à peine assis sur son vélomoteur couleur crème, qu’il m’interpella sur le fait que les roseaux le long du chemin des ânes, où le « Kwadebeek » forme un petit étang au niveau de la ferme, sont d’une espèce assez rare en Belgique.

Si vous désirez effectuer la promenade de Fons (environ 8 km), tenez compte du fait que vous devrez parcourir un petit kilomètre le long de la chaussée de Braine-L'Alleud qui est fort fréquentée.

Le "garde" Alfons Goossens sur son vélomoteur couleur crème, avec le fusil sur l'épaule, tel que les braconniers et Rhodiens pouvaient l'apercevoir lors de ses tournées autour des terres et dans le domaine (source : Marina Blijkers - colorisée artificiellement en 2021).

Poste d'observation avec vue sur les champs et prairies.

Fons avec son fils Hilaire et la loutre.

Je dois descendre du vélomoteur car il n’est pas assez puissant pour gravir la côte jusqu’au chemin du bois d’Elsen. A la drève des Comtes, comme beaucoup de passants, nous nous arrêtons quelques instants, devant la Croix du Comte de Croix. Le Comte a été victime d’un accident de chasse en 1863. Il mourut après avoir reçu les derniers sacrements dans le château de Revelingen. Il n’avait que 57 ans. Les circonstances exactes de son décès n’ont jamais pu être élucidées.

Lien vers le faire-part de décès.

Nous longeons le Kwadebeek jusqu’à la source (un cadre de béton avec un couvercle en métal). A pied nous nous engageons dans le chemin privé qui suit la limite du bois. A droite, on aperçoit un petit poste d’observation, avec vue sur les prairies et champs qui sont enclavés entre Hof-ten-Hout et la drève des Comtes. De là, les chasseurs peuvent repérer le gibier. Dans le lointain, nous voyons un troupeau de chevreuils. Nous tombons sur Hilaire, le fils de Fons, qui vient d’attraper une loutre. Le temps d’une photo et nous poursuivons sur le chemin des ânes.

Croix du Comte de Croix

Portait de Charles Edmond de Croix  (par Claude-Marie Dubufe)

Le Comte Charles-Edmond-Marie de Croix (1807-1863) était le seigneur de Steenokkerzeel et séjournait dans le château de Ham avec son épouse et ses trois enfants. La famille de Croix est une famille noble d’Europe, dont les premières traces peuvent être retrouvées au 12ème siècle en Picardie (France), en relation avec de nombreuses familles royales dont notamment d’Orléans et, plus près de chez nous, du Comte de Chimay. Le Comte serait né à Rhode (l'acte officiel mentionne Paris). Généralement, les nobles naissent dans des châteaux, mais aux alentours de 1807, il n’y avait pas encore de châteaux à Rhode.

A la hauteur de la drève du Comte, un des points culminants de Rhode, on apercoit dans le lointain le lion de Waterloo. Ce paysage était au milieu de 16ème siècle, également le domaine de chasse de Charles Quint qui après une journée de chasse avec sa cour, allait séjourner dans le Prieuré des Sept Fontaines. Charles Quint pouvait chasser les loups, sangliers, cerfs, chevreuils et les damins (the big 5)… Les ours avaient déjà disparu dans nos contrées...

 

La Forêt de Soignes qui était encore immense à l’époque, suscitait de l’inquiétude. Les brigands y ont dépouillé les passants pendant des siècles.

Nous empruntons à présent la drève Sainte-Gertrude, un chemin cahoteux qui nous conduit jusqu’à la ferme Sainte-Gertrude. Elle a été construite entre 1825 et 1835 par une société qui voulait promouvoir la betterave à sucre. La société a fait faillite et en 1840, le Baron Alfons Goethals a racheté le bâtiment et les terrains. La ferme a reçu le nom de la drève. Ce complexe agricole imposant est construit en briques. L’entrée principale est un pigeonnier avec un toit en croupe. Dans une niche se trouve une statue de Sainte-Gertrude. Les propriétaires actuels sont depuis plusieurs années les frères Luc et Marc Lannoye. Sainte-Gertrude est encore aujourd'hui la plus grande ferme.

Ferme Sainte-Gertrude

Le Baron Auguste (Charles Antoine Louis) Goethals est né à Turin (1812) et est décédé à Bruxelles en 1888. Il était militaire et Ministre de la Guerre. Il était le fils du Lieutenant-général Charles Goethals (1782-1851). En 1836, il s'est marié avec Mathilde Engler (1814-1894), fille du sénateur Jacques Engler. Le couple a eu quatre enfants dont un fils qui mourut jeune. Leur fille Valentine s'est mariée avec Philippe de Jonghe d’Ardoye en 1860.

Ferme Sainte-Gertrude

Le chemin nous amène jusqu’à la chaussée de Braine-l’Alleud. Lorsque nous approchons de la ferme-château, nous voyons à travers les arbres, la tour colorée du château Revelingen. A travers une grille métallique, nous pouvons observer une partie de l’orangerie et des serres, annexes du château.

Revelingen, orangerie et serres

Nous entrons dans le Domaine Revelingen par l’entrée principale située sur la chaussée de Braine-L’Alleud. Fons s’est arrêté derrière les arbres car il savait que le Comte Philippe pouvait être contrarié par les visites indésirées. De là, je pouvais faire une photo du château qui a été conçu en 1860 par l’architecte Cluysenaar, à la demande du Baron Alfons Goethals dont la fille Valentine s’est mariée avec le Comte Louis de Jonghe d’Ardoye. Par héritage, le château, les fermes et les domaines sont tombés dans les mains de la « dynastie » de Jonghe d’Ardoye.

Ferme-château le long de la chaussée de Braine-l'Alleud

La ferme en tant que telle se trouve au coin de la drève et de la chaussée. Cette ferme a été conçue par l'architecte Cluysenaar (vers 1860).

Valentine Goethals (°1841 + 1917) est la fille cadette du baron Goethals et de Mathilde Engler. Elle épousa en 1860, à l’âge de 19 ans, le comte Louis de Jonghe d'Ardoye (°1820 + 1893) qui était vingt ans plus âgé qu’elle. Ils eurent 2 enfants : un fils et une fille.

Valentine est décédée à Rhode. Louis était le fils du vicomte Auguste de Jonghe d'Ardoye et de Lucie Charliers de Buisseret. Il était diplomate et ministre sous le Roi Léopold II. Il a été nommé ministre d'État et également honoré du titre de comte, pour lui et tous ses descendants. Son fils, André de Jonghe d'Ardoye (1861-1936) qui dirigera plus tard le Château et les terres, était lieutenant-général dans l'armée.

Château Revelingen - collection Eddy Vannerom


Le domaine du château qui était ceint par un mur a été bâti sur une partie déboisée de la Forêt de Soignes. Le château Revelingen a été conçu dans un style éclectique avec des parements en stuc sous le toit d’ardoises. Il est assez coloré, avec une couleur rouge-rose pour la façade, une menuiserie jaune-doré et des détails ornementaux en pierre naturelle grise. A l’entrée principale et sur la partie avant droite, il y a des colonnes (entre autres dans un style toscan).

Jean-Pierre Cluysenaar peint par Gallait

On retrouve des détails identiques dans la villa Servais à Halle et dans le château Calmeyn à Drogenbos. Après ses études d’architecture à l’Académie Royale des Beaux-Arts, Jean-Pierre Cluysenaar (1811-1880) s’est rapidement forgé une réputation dans les meilleurs milieux. Sa conception de la Galerie Saint-Hubert à Bruxelles n’est pas étrangère à sa réputation. Comme architecte, il  s’adapte aux besoins et souhaits de ses (riches) clients. Ses travaux en ont fait une figure de proue de l’éclectisme.

Nous poursuivons notre route le long de la chaussée vers le restaurant « Au Bon Air ». Jusqu’il y a peu, les cyclistes du Paris-Bruxelles devaient gravir cette montée sur des pavés !

 

J’offre une tartine et une bière à Fons dans le café-restaurant « Au Bon Air » (maintenant « Chez Eddy »), un bâtiment formant un angle aigu avec la rue au Bois. Le revêtement de la façade était en cimorné (gravier de verre), comme la brasserie De Greef. Au moment où nous sommes entrés, l’atmosphère fut, l’espace d’un instant, silencieuse. Va-ploerke, un braconnier célèbre qui habitait sur la Kwadeplas, était en train de se vanter auprès du restaurateur Remy Stevens. Il prétendait qu’il venait de vendre un lapin frais à un client du café. Le regard sévère de Fons a fait monter la tension. Va-ploerke persistait et affirmait qu’il avait obtenu l’autorisation du Comte pour attraper de temps à autre un lapin. L’histoire raconte qu’il aurait un jour eu une mésaventure lorsqu’il a voulu vendre un lapin à un «pilier de bar» : au moment d’ouvrir son sac de jute, l’animal s’était échappé. Après une course effrénée dans le café, le lapin a disparu dans les buissons…

Café "Au Bon Air" - collection Eddy Vannerom

Fons a commandé une geuze. Sur le sous-verre en carton, je vois  que la bière provient de la brasserie De Greef. Le chef Rémy vient nous saluer et nous présente la carte. Dans le miroir derrière le comptoir, je vois son fils Ludo verser consciencieusement la geuze dans le verre…

Je paie avec un billet de 50 francs belges. Au coin de la rue se trouve un rémouleur. Fons fait aiguiser son poignard pendant que je prends une photo de l’équipe de la blanchisserie « La Neigeuse » de Drogenbos qui venait boire une bière chez Remy.

Blanchisserie "La Neigeuse" - photo colorisée artificiellement.

Henry le rémouleur - photo colorisée artificiellement.

Après cette tartine campagnarde, nous roulons en direction de la rue Kwadebeek mais Fons devait manoeuvrer pour éviter les ouvriers  en train de poser un câble électrique en direction de sa maison. Il est content car sa famille pourra enfin profiter d’un logement éclairé correctement (années ’50). C’était un exploit que de placer le câble électrique depuis le Kwadebeek, à travers le bois, jusqu’à l’habitation du garde-chasse. Le câble était également trop court de quelques mètres.

Nous sommes à présent à une centaine de mètres de son habitation. Alice, son épouse, est en train de puiser de l’eau dans le puits très profond. Elle est aidée par une vache qui remonte une trentaine de litres avec une corde et un collier autour du cou de l’animal… On espère une connexion prochaine au réseau public de distribution d’eau.

Nous nous engageons dans le sentier qui rejoint le chemin Hof-ten-Hout. Fons s’arrête un instant pour contrôler s’il n’y a pas de pièges à lapins dans la pinède qu’il a plantée avec son fils au début des années ’50.

La maison du garde-chasse où habitait Fons.

Le temps est venu de prendre congé. Ce fut une jolie et intéressante balade…

Au sujet de Fons

Alfons et son épouse.

Photo colorisée artificiellement.

En 1948, Alfons Goossens, s’est établi dans la maison du garde-chasse après avoir été engagé comme garde-forestier par le Comte. Fons était originaire d’Oostveld (Flandre Occidentale) et a déménagé avec sa femme Alice ainsi que ses quatre enfants dans le logement. Il avait reçu pour mission de tenir écartés du domaine, les braconniers et autres indésirables.. Il resta garde-forestier jusqu’en 1968 (20 ans) et décéda en 1980. Sa femme Alice mourut en 1967.